C’est à vous que je parle ma sœur

Suivant la classe sociale des parents, l’expression peut aller de « Cessez de faire les sots » à « Vous allez vous en manger une ! », mais l’intonation de l’ordre et de la menace sont pareillement nuancées d’une incontestable résignation. Visiblement, ils ne se croient pas le pouvoir d’empêcher leur progéniture d’agir à sa guise, de casser les oreilles des passants ou d’entraver leur marche, dans une surexcitation que la mise en garde n’a fait qu’aviver, après quelques secondes de fausse hésitation.

Car on est dans un endroit public, sur un trottoir ou bien dans un hypermarché. L’indignation, la colère parentales font semblant de s’adresser au mouflet, mais personne n’est dupe. Elles sont en fait destinées au public, et n’interviennent qu’au moment où le risque devient patent d’une remarque extérieure désobligeante. La brutalité de l’injonction est des plus matoises. À défaut de prétendre à une quelconque efficacité à l’encontre du marmot, elle tient à distance le spectateur agacé, et lui dit en langage codé : « Ne te (vous) mêle (mêlez) pas de ça, ce sont mes oignons (affaires). » Il y a une humilité pitoyable dans cette sévérité tardive qui ne sait rien exiger des siens, mais revendique la liberté de se laisser dépasser sans que les autres viennent y mettre le nez. Le principe d’éducation se mue en exigence de tranquillité. On entend tout cela dans cet infime décalage de la voix qui ordonne la faiblesse, menace de l’absence de sanction. Comme si les rôles avaient été distribués au hasard – et les parents jouent leur texte sans y croire, sans même croire que les autres y croient.